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Analyse approfondie du tableau
Comparaison aux autres oeuvres du Caravage
1. JUDITH ET HOLOPHERNE PAR LE CARAVAGE
La scène est relatée par un texte biblique, le Livre de Judith composé en Palestine vers la fin du IIème
siècle av. J-C.
L’action se situe en 800 avant Jésus-Christ. Judith vit à Béthulie, ville assiégée par
Holopherne. Alors que la ville est à bout, prête à se rendre à l’ennemi, Judith, jeune veuve d’une grande beauté,
décide de séduire le Général Holopherne. Celui-ci organise un banquet en son honneur. A la fin de la
soirée, il s’endort ivre dans sa chambre. Judith le tue alors de deux coups d’épée.
« Le soir était venu, ses serviteurs se hâtèrent de se retirer chacun chez soi, et Vagao ferma les portes de la chambre et s’en alla. Tous étaient assoupis du vin qu’ils avaient bu. Et Judith était seule dans la chambre. Holopherne était couché dans son lit tout accablé de sommeil par l’excès de vin. Et Judith commanda à sa servante de se tenir dehors devant la porte de la chambre, et d’y faire le guet. Priant avec larmes, et remuant les lèvres en silence, elle dit : « Seigneur Dieu d’Israël, fortifiez-moi, et rendez-vous
favorable en ce moment à ce que ma main va faire afin que vous releviez, selon votre promesse, votre ville de Jérusalem, et que j’achève ce que j’ai cru pouvoir faire par votre assistance ». Ayant parlé de la sorte, elle s’approcha de la colonne qui était au chevet de son lit, et délia son sabre qui y était attaché. Puis, l’ayant tiré du fourreau, elle prit Holopherne par les cheveux de sa tête et dit « Seigneur mon Dieu, fortifiez-moi à cette heure ». Elle lui frappa ensuite sur le cou par deux fois, lui coupa la tête ; et ayant tiré un rideau du lit hors des colonnes, elle jeta par terre son corps mort.
- Holopherne, lieutenant de l’immense armée de Nabuchodonosor, Roi de Babylone, qui assiège Béthulie, en Samarie.
- Judith, littéralement « la Juive ».
- Abba, la servante de Judith.
Trois témoignages anciens font référence à des toiles du Caravage représentant Judith et Holopherne.
- Le peintre Giovanni Baglione (1566 – 1643) traite dans ses écrits d’un tableau appartenant au banquier Ottavo Costa.
- Une lettre du 17 septembre 1607 du peintre flamand Franz Pourbus (1569 – 1622) évoque un tableau peint à Naples par Le Caravage.
- Le peintre flamand Louis Finson (1580 – 1617), qui lègue par testament le 19 novembre 1617 une toile sur ce sujet à son disciple Abraham Vinck.
Ces témoignages sont la preuve que Le Caravage exécuta plusieurs versions de cet épisode de la Bible.
De nos jours, nous avons connaissance de deux versions :
- Judith et Holopherne, version de Rome. Commande d’Ottavio COSTA.
- Judith et Holopherne, version de Naples. Jusqu’à présent connue par une copie, reconnue comme telle, attribuée au peintre Louis Finson (1580 – 1617).
Dans les deux versions, horreur accrue par :
- le confinement de la scène
- la disproportion entre la frêle Judith et le gigantesque Holopherne
- la servante hideuse et grimaçante
Le choix du moment.
Dans les deux versions, le choix du moment rompt avec la tradition qui consistait plutôt à relater le préliminaire du meurtre lorsque, pendant le banquet, Holopherne était séduit par Judith. Ici, est montré l’instant alors infigurable et central, le coup d’épée en train d’être donné, la lame à mi-parcours, au milieu du cou, la tête qui commence à se séparer du corps, tirée en arrière par la chevelure qu’agrippe la main de Judith et les jets de sang.
Moment unique, décisif, mortel, sans passé, sans avenir : intemporel. Judith n’en finira jamais de couper la tête d’Holopherne.
Le tableau découvert à Toulouse est admirable tant par ses qualités techniques et esthétiques. Confronté au tableau de Judith et Holopherne conservé à Rome mais aussi à la copie réalisée par Louis Finson d’après un original du Caravage, conservée à Naples, il devient alors très compliqué d’affirmer que cette toile puisse être d’une autre main que de celle du Caravage.
Caravage, vie et œuvre
Menant une vie dissolue parsemée de rixes, meurtres et fuites, sa personnalité mystérieuse continue de nous fasciner aujourd’hui.
Mort avant même d’avoir atteint l’âge de 39 ans, il a jouit de son vivant d’une célébrité exceptionnelle malgré son style plus que controversé.
Le Caravage imposera non sans déboires et conflits, sa volonté de renouveau et de ré invention en ne cessant d’associer le sacré au profane pour alimenter son imitation du naturel. Il refuse la hiérarchie rhétorique entre sujets nobles et sujets bas. Le caractère radicalement novateur de son art a joué rôle décisif dans l’affirmation des principes du réalisme, dès ce tout début du XVIIème siècle.
Le Caravage « a détruit tous les bons usages de la peinture » Giovanni Pietro BELLORI (1613 – 1696) .
« Avec Le Caravage, destruction de la peinture signifie mort de la peinture d’histoire, dans une pièce obscure que traverse un éclat de lumière qui saisit, immobilise, stupéfie les figures dans un temps instantané, qui neutralise la dure de la représentation en peinture ». Louis MARIN (1931 – 1992).
Caravage et son contexte
Le temps artistique est régi par les préceptes de la Contre-Réforme catholique (Concile de Trente, 1545 – 1563). En réaction au protestantisme, la Contre-Réforme veut étendre la pratique du culte catholique à un plus large éventail du peuple. Les artistes sont chargés de concevoir leurs travaux dans une perspective de « propagande » en rendant accessible l’art religieux au commun des mortels. Les images deviennent des « instruments pour unir les hommes à Dieu ». Le goût du réalisme du Caravage coïncide avec cette volonté de prêter plus d’attention aux plus modestes, et de concilier dévotion et communication.
Les commanditaires d’œuvres : prêtres, nobles ou toutes personnes honorées désireuses d’embellir les églises ou les personnes exercées dans le domaine des lettres et des études.
Le Caravage traitera essentiellement de sujets sacrés. La nature des travaux qui lui furent confiés furent souvent destinés à des lieux de culte, mais toujours financés par des personnes privées. Il révolutionne l’art religieux par son approche très réaliste, représentation humaine et quotidienne des textes bibliques qui a pu aussi choquer les réformateurs. Ainsi, le tableau La Mort de la Vierge, peint avec en modèle principal le cadavre d’une prostituée noyée fût refusé par le clergé de l’église Santa Maria della Scala à Rome.
En Italie, à Rome en particulier, c’est l’époque où le maniérisme s’impose dans le décor des édifices religieux avec des artistes tels que Girolamo MUZIANO (1532 – 1592), Federico BAROCCI (1528 – 1612) et Federico ZUCCARI (1539 – 1609).
Annibal Carrache (1560-1609), travaillant avec ses frères, Ludovico et Agostino, peintre académique par excellence, prône une peinture d’après les modèles antiques et la recherche du beau idéal. Il incarne une école de peinture qui va tendre vers une autre interprétation des préceptes du Concile de trente : là où Caravage optera pour une vision naturaliste et une représentation issue de modèles populaires, les Carrache ne s’éloignent pas des modèles dits « classique » en créant des peintures au moyen d’un dessin net, et à la disposition et aux couleurs équilibrées.
C’est dans l’atelier de Simone PETERZANO (Bergame v. 1540 – Milan 1596), artiste lombard, que Le Caravage, y entrant vers l’âge de 12 ans, acquiert les premiers rudiments de sa formation au métier de peintre. PETERZANO est considéré comme un des meilleurs représentants du maniérisme lombard tardif. Le Caravage peindra pendant ces quatre années d’apprentissage un nombre appréciable de portraits.
Sa manière se met en place très tôt dans sa carrière, dans sa vingtaine. Il débarque à Rome en 1592.
- 1592 : Démuni et inconnu, il entre dans l’atelier de Lorenzo Sicialiano, près du Campo Vaccino, où il peindra des « têtes ».
- Fin 1592 : il est embauché à Rome par un peintre nommé Antiveduto Grammatica, dans son atelier près de l’église San Giacomo in Augusta. A cette époque apparait dans sa peinture le « stéréotype de l’androgyne » (Jeune garçon pelant une poire, Jeune garçon mordu par un lézard, Bacchus malade…).
Ill. Garçon à la corbeille de fruits, vers 1593, Galerie Borghèse / Le jeune Bacchus malade, vers 1593, Galerie Borghèse . / Jeune garçon mordu par un lézard, 1595-1596, National Gallery, Londres.
- Juin 1593, entrée à l’atelier du « Cavalier d’Arpin », le plus prestigieux de Rome, organisé sur le modèle dit « alla Torretta » : répartition des tâches selon les collaborateurs, certains peignant des paysages, d’autres des guirlandes de fleurs en fonction de leur mérite et expérience… Il quittera cette atelier en janvier 1594 dans des circonstances troubles ; Michelangelo Merisi peint des « fleurs et corbeilles de fruits ».
Ses protecteurs (collectionneurs & mécènes)
Le Caravage a su tout au long de sa vie s’entourer et se faire apprécier des personnalités les plus influentes de son temps (ce qui lui permettra entre autre d’échapper à une condamnation à mort), parmi lesquels :
Costanza Sforza Colonna, le Cardinal Federico Borromeo, le Cardinal Carlo Borromeo. (Personnalité capitale de la Contre-Réforme en Italie), le Cardinal Francesco Marie del Monte, le Cardinal Girolamo Mattei et son frère Ciriaco Mattei, les Borghèse dont le Cardinal Scipione Borghese, Maffeo Barberini (futur pape Urbain VIII) les banquiers Ottavio Costa et Vincenzo Giustiniani…
Caravage et les dates
Caravage et la création d’une nouvelle manière
- Alessandro BONVICION dit « Le Moretto » (v. 1495 – 1554). Méthode novatrice dans l’usage de la lumière et la répartition de la couleur dans un jeu de blanc et de sombre. Souvent qualifié de « pré caravagesque » par sa manière d’accorder une dimension « spirituelle » à l’humain mais aussi au paysage qui l’environne. Paysage éclairé de façon dramatique.
- Lorenzo LOTTO (1480 – 1557). Paysage, jeu de lumière, tons froids, émaillés.
- Antonio (1523 – 1587) et Vincenzo (1536 – 1591) CAMPI. Promoteurs en Lombardie d’un naturalisme que Le Caravage métamorphosera d’une manière révolutionnaire.
- Ambrogio FIGINO (1553 – 1608)
- Vincenzo FOPPA (1427 – 1519)
- Giova Paolo LOMAZZO (1538 – 1592)
Pas de dessin préparatoire. Le Caravage est connu pour avoir conçu et réalisé ses tableaux sans dessins préparatoires, lesquels étaient remplacés par des esquisses tracées en brun ou noir sur la toile. Ses œuvres sont ainsi le fruit de nombreux « repentirs » (confirmés par les radiographie de ses toiles).
Il pratiquait aussi des incisions dans la toile avec le manche du pinceau, voire avec un poinçon. Ces traces fonctionnent comme des repères pour fixer sur la toile la position des protagonistes.
Que le sujet soit religieux ou profane, Le Caravage s’est attaché à le peindre en puisant son inspiration dans la vie réelle, délibérément populaire, avec le souci des détails et le rejet de l’idéalisation. Les personnages de l’Ancien et Nouveau Testament ou de l’Antiquité grecque deviennent ainsi des êtres humains vaquant à leurs occupations quotidiennes et « terrestres ». L’évènement sacré est « laïcisé », replacé dans sa quotidienneté afin d’être relaté tel qu’il aurait pu être perçu par ses contemporains, sans pour autant en réduire sa dimension spirituelle. Inversement, la peinture de Caravage peut être perçue comme une métamorphose de la vie quotidienne en une dimension sacrée.
La touche du Caravage, rapide, n’en est pas moins lisse et précise en permettant de rendre compte de la densité des objets peints. Les ombres façonnent les volumes. Lorsque le Caravage peint « Bacchus » conservé à la Galerie des Offices (Ill. 1), il parvient à restituer tant la transparence du verre, que sa densité : en le regardant, on ressent la légèreté et la fragilité de cet objet.
Le Caravage sait par ailleurs prendre ses distances avec le « beau idéal » prôné depuis le début de la Renaissance, et prenant modèle sur l’art de l’Antiquité. Il n’hésite pas à peindre la réalité dans son intégralité, sans concession : teint blafard, ongles sales, dents noircies… Regardez par exemple la représentation des mains « d’Holopherne » dans le tableau conservé à Rome (Ill. 2) ou les pieds d’un des paysans de la « Madone des pèlerins » (Ill. 3).
Les modèles.
Là encore, scène religieuse ou scène profane, il prend ses modèles dans la vie quotidienne : les voyous, les mendiants, les prostituées et restitue leur brutale réalité, ce qui là encore n’est pas sans choquer certain de ses contemporains. Sous les traits de Sainte Catherine d’Alexandrie (Ill. 3) a ainsi été identifiée Fillide Melandroni, célèbre courtisane de l’époque. Ou encore Mario Minniti, son garçon d’atelier et collaborateur dont on retrouve le visage dans le joueur de Luth, le Bacchus ou la Diseuse de bonne aventure.
A ROME. Valentin de Boulogne dit le Valentin (1591 – 1632).
A ROME ET VENISE. Nicolas REGNIER (1588 – 1667).
A PARIS. Simon VOUET (1590 – 1649), Claude VIGNON (1593 – 1670).
EST DE LA FRANCE. Georges de la TOUR (1593 – 1652). Antoine, Louis et Mathieu LE NAIN (nés entre 1593 et 1607).
AU VELAY. Guy François (1578 – 1650).
A AVIGNON. Trophisme Bigot (1579 – 1650).
A TOULOUSE. Nicolas TOURNIER (1590 – 1639). N’hésitez pas à aller admirer ses œuvres au Musée des Augustins de Toulouse.